vendredi 29 juin 2012

Lettre ouverte à M.Jean-Louis Beffa concernant le projet ULCOS

Monsieur,

Devant les membres du Conseil économique, social et environnemental de Lorraine, vous avez vivement contesté, le 13 juin 2012, le bien-fondé même du projet sidérurgique de captage-stockage de CO2, ULCOS, envisagé sur le site ArcelorMittal de Florange. Vous avez ainsi qualifié ce projet par ces propos : "ULCOS ne va pas créer d'emplois, ni de métiers nouveaux. Ce n'est pas la meilleure utilisation que l'on puisse faire de l'argent public ! " ou encore "On mettrait 300 millions d'euros dans une démonstration vraiment pas essentielle. Pour 300 millions, vous pouvez vous payer la plus moderne unité d'Europe dans le photovoltaïque !"

La fédération de la Métallurgie CFE-CGC souhaite, à travers cette lettre ouverte, vous faire part des arguments qu'elle défend auprès des pouvoirs publics : ministères et collectivités territoriales.
Contrairement à une idée reçue, l'acier n'est pas un matériau dépassé. Il est au coeur de nombreux produits (boîtes de conserves, pots de peinture, carrosserie de voiture, outillage, bâtiments ...) et de tout ce qui nous entoure. Et l'on n'a jamais cessé de produire autant d'acier depuis 2000 que pendant les cinquantes dernières années. Les prospectivistes imaginent même un doublement d'ici 2050.

Une lecture plus précise de la situation permet de démontrer qu'une usine sidérurgique est un lieu de haute technologie, dans lequel les ingénieurs réalisent quelques unes des plus grandes prouesses de la technologie. C'est vrai et, peut-être, facile à démontrer. Mais nous n'imaginons pas que vous ayez oublié, de votre passage à Saint-Gobain-Pont-à-Mousson, la grande technicité du procédé d'élaboration de la fonte par la filière minerai de fer -- haut-fourneau.

A la question de savoir qui doit fabriquer l'acier, si la situation le nécessite, deux solutions s'opposent. Soit on le produit localement, soit on l'importe. Aujourd'hui, l'Europe produit, dans sa grande majorité l'acier dont elle a besoin. Le commerce international reste très minoritaire, essentiellement parce que les coûts de transport sont du même ordre de grandeur que les gradients de prix de revient, liés le plus souvent au coût du travail.

Pendant longtemps les industries de base, même si elles étaient modernes, sont allées chercher, hors de leurs frontières, leur acier, afin d'"externaliser" la polution et partager la création de valeur avec les pays émergents. Aujourd'hui une économie locale doit comporter une fraction importante d'industries, y compris celle des matériaux qu'elle met en oeuvre. C'est en tout cas la position que la CFE-CGC porte. En ce cas il n'y a plus de raison de vouloir délocaliser la sidérurgie au bout du monde, dans la mesure où la consommation locale ou régionale se maintient. Inventer de nouvelles industries est important, sans pour autant faire table rase de notre passé, de notre culture et surtout des secteurs qui existent et fonctionnent correctement.

A la question de savoir si la consommation européenne d'acier se maintient, la réponse était affirmative jusqu'à la crise de 2008. La croissance était faible mais réelle, correspondant à la croissance modeste mais réelle de l'économie européenne. S'en sont suivis un effondrement et une légère reprise - de fin 2010 jusqu'à la fin du 1er semestre 2011 - qui n'a pas permis de retrouver les indicateurs d'avant 2009. S'agit-il alors d'une rupture durable de la consommation d'acier en Europe, révélée par la crise - à l'image de la première crise pétrolière, "marqueur" de la fin des 30 glorieuses - ou simplement une rupture due à la crise de 2008 encore solidement installée et qui n'a fait l'objet que d'une courte rémission ? La CFE-CGC croit plutôt à cette deuxième explication : celle d'une crise durable qui, de facto, affecte le monde même si elle est, en ce moment, plus visible en Europe. Avec cette intuition, toutefois, que la dynamique de demande équivalente à la demande antérieure reviendra, la crise passée.

Comment les capacités de production disponibles, héritées du passé, correspondront-elles à ces besoins ? Sur-production ou sous-production ? Quelles sont les fluctuations conjoncturelles à prévoir ? Comment la France s'adaptera-t-elle à ces fluctuations ? En important en période de plus forte demande ou en exportant en période de plus faible demande ? Quelles usines devraient être privilégiées ? Sur quels critères ? Quels acteurs économiques devront porter ces ajustements ?

Le changement climatique est le challenge majeur auquel la France - comme tous les autres pays - va être confrontée. C'est un phénomène d'une ampleur sans précédent, dont la plupart des parties prenantes n'ont pas analysé encore le bouleversement. C'est à l'aube de ce changement climatique que le choix des technologies pour le futur doit se faire. C'est encore plus vrai des usines sidérurgiques qui produiront de l'acier pour les 20 ou 30 ans à venir. Pour la sidérurgie la réponse s'appelle ULCOS. ULCOS permettra de réduire les émissions de CO2 de 50 à 80%. Elle donnera aux usines qui l'utiliseront une visibilité à long terme, la capacité de répondre aux contraintes climatiques et un avantage en coût très substanciel à l'inverse de celles qui n'en seront pas équipées. Ce projet donne donc un "label vert" aux entreprises et leur permet de créer de la valeur économique : une coopération assez rare et proprement spectaculaire. Cette technologie devrait être mise en place à Florange. L'usine lorraine se retrouvera alors projetée en tête des usines aujourd'hui les plus performantes du continent, voire du monde. Elle réduira ses émissions de CO2 de manière drastique et aura le potentiel de réduire de façon majeure toutes ses empreintes environnementales.

ULCOS favorisera une pérennisation des emplois en Lorraine, associée à une forte évolution des niveaux de compétence. Cet effet se répercutera également sur le tissu industriel local qui devra s'adapter à une technicité plus évoluée des installations. Les producteurs locaux de gaz industriels (oxygène, azote) devront, eux-aussi, s'adapter à travers des investissements lourds mais nécessaires aux nouveaux besoins du procédé (oxy-combustion des tuyères principales du haut fourneau).

Le projet ULCOS BF tient son originalité dans le couplage de technologies de pointe connues comme la séparation par adsorption, la purification des gaz par cryogénie, le réchauffage de gaz réducteurs, le transport en phase dense ou le stockage du CO2 en aquifère salin. Il va également impacter les Instituts de Recherche Régionaux : matériaux réfractaires et aciers spéciaux résistant aux gaz réducteurs chauds, procédé (adaptation du procédé de réduction dans le haut fourneau), caractérisation des sites de stockage, fluides (études d'écoulement des fluides dans le creuset et la cuve). La phase chantier, nécessitant l'embauche de 1 500 personnes par jour, donnera une charge importante aux entreprises locales dont certaines sont en difficulté du fait de la conjoncture. Certes, l'investissement est lourd mais, en retour, le taux d'activité régional est à la hauteur de celui-ci.

Réussir une telle transformation en Lorraine, c'est construire un monde moins hostile pour nos petits-enfants, que celui qui émergerait si l'on n'agissait pas : un monde probablement aussi moderne ou post-moderne que le monde qui construit une grande centrale solaire, dont les kWh seront subventionnés dans les 20 ans à venir, dotés de capteurs solaires fabriqués en Chine et une fois arrivés sur le marché européen, marqués d'une empreinte carbone très négative.

Le site de Florange a pour ambition de se développer dans des aciers à haute technicité (USIBOR) pour réduire le poids des carrosseries de voiture et, indirectement, a pour ambition de réduire les émissions de CO2.
C'est pour cette raison et pour tous les arguments motivés dans cette lettre que la CFE-CGC défend le projet ULCOS.

Xavier Le Coq, Secrétaire National chargé de l'Industrie
Fédération de la Métallurgie CFE-CGC

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